Les Dragonniens vivaient dans une contrée au relief accidenté, assez éloignée de la fleur désormais flétrie. Et ils furent les premiers à ressentir les effets de la perte de leur protecteur. En effet, ils se trouvaient pris en tenailles entre les marais et le Chaos extérieur. Et ce dernier se mit soudainement en mouvement, quelques siècles après la perte de la fleur. Comme appelé par les marais, il progressa, dévorant leurs montagnes les unes après les autres, inéluctablement.

Alors les Dragonniens fuirent. Abandonnant leurs villes et leur terre natale, ils survolèrent les marais, poussés par le désespoir, et se répandirent sur le reste du monde. Poussés par l'habitude, ils se dirigèrent vers les montagnes et demandèrent aux Célestes l'autorisation de vivre avec eux. Touchés par la tragédie qui les avait frappés, ces derniers acceptèrent avec bienveillance. Ainsi furent semées les graines de la guerre.

En effet, les dragons n'étaient pas habitués à côtoyer d'autres créatures intelligentes que leurs dragonniens. Ils ne connaissaient pas les Célestes, et leurs ailes emplumées leur évoquèrent immédiatement des oiseaux. Donc des proies. Les dragonniens tentèrent bien de les détourner de cette habitude, mais ils ne pouvaient pas être en permanence auprès de leurs liés, et l'instinct des dragons continuait à parler.

Les Célestes ne leur laissèrent pas non plus beaucoup de temps pour accoutumer leurs dragons à cette nouvelle manière de faire. Après quelques semaines, le couple royal ordonna aux Dragonniens de quitter les montagnes. Face à leur refus d'obtempérer, tout le peuple des Célestes se lança à l'attaque des Dragonniens, déclenchant la première guerre d'envergure du monde.

Les Elfes restèrent d'abord en dehors de ce conflit, ne se sentant pas concerné. Et cette neutralité, les Elfes des Bois la conservèrent jusqu'au bout de la guerre. Tel ne fut pas, par contre, le cas des Haut Elfes. Il arrivait que des Célestes chassent un animal de leurs troupeaux, bien souvent par mégarde, et les nomades leur en gardaient rancune. Aussi prirent-ils rapidement les armes pour prêter main forte aux Dragonniens, dont ils se sentaient également proche par leur vie de cavaliers.

La guerre prit rapidement une mauvaise tournure pour les Célestes, qui devaient faire face à deux peuples et se battre à la fois sur terre et dans les cieux. Après quelques batailles ayant tourné en leur défaveur, ils se replièrent dans leurs villages troglodytes, un siège s'organisant rapidement autour de ceux-ci. L'issue de la guerre semblait toute tracée... lorsqu'un nouvel étendard flotta sur le champ de bataille.

Les Elfes noirs. Ils avaient vu dans ce conflit la plus parfaite des opportunités pour se venger des Hauts Elfes, ceux qui les avaient chassés, des siècles auparavant, dans les marais, où ils avaient souffert pendant des années. Ces souffrances avaient modelé leurs corps et leurs âmes, et ils étaient devenus des guerriers redoutables. Ils brisèrent les sièges organisés contre les Célestes, et la guerre se relança, sans que rien ne semble pouvoir l'arrêter.

La fin de la guerre vint de ceux qui s'en étaient jusqu'alors tenu à l'écart. Les Elfes des Bois étaient lassés de ce conflit, qui mettait à feu et à sang leur monde déjà bien abîmé par l'action du Chaos, par l'intermédiaire des Elfes noirs. Bien qu'ayant reproché leur attitude aux Haut Elfes, ils n'avaient pas non plus pardonné aux Elfes noirs d'avoir flétri Mëssyath, et ne virent pas d'un très bon oeil qu'ils quittent leurs marais.

Alors ils convoquèrent les dirigeants des différents peuples. La reine des Elfes noirs, le couple royal des Célestes, les Sages des Haut Elfes et les trois généraux des Dragonniens. Ils se réunirent sur l'Autel floral, délaissé depuis que la fleur avait fané, et les Elfes des Bois proposèrent un compromis afin que cessent les batailles.

Les Dragonniens laisseraient leurs montagnes aux Célestes. En échange, tous les peuples accepteraient qu'ils bâtissent une cité sur leur territoire, ou proche de celui-ci. Proche, car ils n'allaient pas abattre des arbres, niveler des montagnes ou assécher des marais pour construire une ville. Aucun des peuples ne l'aurait accepté. Ainsi fut fait, et la guerre cessa enfin.

En guise de gage de paix, les peuples se réunirent une seconde fois autour de la fleur flétrie. D'un commun accord, ils unirent leurs magies et les insufflèrent dans la fleur. Leur idée était de mêler leurs énergies pour s'engager à ne plus jamais se battre les uns contre les autres. Mais elle eut des conséquences que nul n'aurait pu prévoir.

Sous leurs yeux émerveillés, la fleur retrouva des couleurs. Elle redressa sa tige courbée, et tourna sa corolle vers le ciel. Tous les spectateurs retenaient leur souffle, et un autre miracle s'offrit à eux. Car la plante-monde sembla rattraper la croissance des siècles écoulés et poussa, poussa. Sa tige se couvrit d'écorce, des branches en jaillirent et bientôt, les peuples contemplèrent un immense arbre. Ils auraient dû s'y mettre à vingt pour entourer son tronc de leurs bras, et même les dragons qui s'élancèrent dans les cieux ne purent atteindre sa cime.

Ainsi naquit pour la seconde fois Mëssyath, qui reçut alors le nom d'Arbre de Paix.